Xiangyun appartient à un genre d'artiste qui, par moments, ne s'arrête de travailler que pour revenir à l’essentiel. Chez elle, seule la forme compte, pas le sujet. Elle me rappelle Roland Barthes et son Degré zéro de l’écriture. A l’aube du Vingtième siècle, l’art, comme la littérature ont perdu leur caractère binaire (sujet et forme) : la création artistique se « neutralise », comme les règles de l'écriture dans L’homme sans qualités de Robert Musil, ou L’Etranger de Albert Camus, où les auteurs mettent le curseur sur un « neutre » qui, au-delà de l’objectivité, installe une troisième dimension. C’est dans cet espace qui ressemble à un gant retourné qu’artistes et écrivains ont dépassé les frontières de la représentation traditionnelle et de l’environnement social qu'ils ont pratiqué et subi dans le passé, la forme de la peinture résidant désormais à l'intérieur même de l'art. Suivant la métaphore barthésienne, les méthodes narratives, les images, le vocabulaire ou le pinceau ne devraient être que les produits des sentiments et de l’expériences intime des écrivains ou des artistes, ceux-ci générant progressivement leur propre langage, leurs codes et leur style, infiltrant le mystère « archaïque » et authentique de la pure création. Ainsi, la forme s’exprime, sans but, puisque affranchie des idéologies du temps et de schémas sociologiques.
Par conséquent, Xiangyun a son propre territoire sur la scène de l'art contemporain et revendique la qualité d’« artiste pur » au sens mystique du terme. Elle cultive fleurs et arborés, observe, apprécie, sent, jouit avec ses plantes ornementales. Elle est comme une rosée déposée sur chaque pétale; telle une somnambule, elle se déplace en rêvant, se pose, puis repart… Elle se nourrit chaque jour de peinture, comme on se nourrit de rêve. C’est une routine sans importance particulière, à ceci près que le contenu change subtilement. Tout comme une graine enfouie dans le sol s’épanouit ou se dépouille doucement. Dans sa peinture, ici un étirement inattendu ou là une surprise dans un coin discret de la toile, surprennent le spectateur. On douterait presque qu’elle veuille échanger ou partager avec l’observateur. Cependant, sa création est un rêve éveillé échappé d’un monde onirique inconnu. C’est une adéquation parfaite avec la fonction de l’art ou de la poésie qui parlent un langage au deuxième degré, occupant une autre dimension (“Le rêve est une seconde vie… ”), errance de l’âme, entre aveuglement et masque, dans une tentative d’évacuer un engagement social qui aurait été kidnappé. Libérer l'esprit, explorer tous les états de conscience et chercher à s'affranchir du rationalisme étroit est la voie qui permettra aux artistes contemporains chinois de briser les barrières liberticides.
Quiconque approche le discours artistique occidental, tout en adhérent à l’« essence » de l'art traditionnel chinois devrait penser ainsi. Toutes les théories de l'art qui mettaient l'accent sur l'humanisme ont longtemps desservi la libre évolution des normes esthétiques. Laisser parler l'inconscient, c'est la pratique du surréalisme. Le surréalisme a toujours récupéré et glorifié les cultures esthétiques traditionnelles de civilisations très exotiques (Afrique), et prôné une exploration psychique débridée, reliant l'état mental « modifié » aux activités créatives, dont la sensibilisation cénesthésique, l'hypnotisme, le spiritisme, les délires... voire les dessins d’enfants. L’artiste, dans cette recherche, tente de déplacer son imaginaire à distance de toutes références ou influences connues, ou bien bouscule l’univers dit réaliste en le démontant ! Tout comme l’ écriture automatique, l’expérience psychologique quasi paranoïaque, quelquefois, a inspiré des maîtres célèbres tels que Dali, Magritte, Ernst, Miro ou Le Douanier Rousseau. Et l’on ne peut manquer, une fois encore, d’évoquer Roland Barthes dont le Degré zéro de l’écriture s’apparente à la quête d’une innocence reconquise.